Les Bilatérales III en 13 questions clés et réponses

A. Déroulement et contenu des négociations

1. Depuis quand la Suisse et l’UE négocient-elles les Bilatérales III?
2. Quel est l’objectif des négociations avec l’UE?
3. Quel est le contenu du paquet d’accords bilatéraux prévu?
4. Qu’est-ce qui est déjà réglé, qu’est-ce qui doit encore être négocié?

B. Principales conséquences politiques pour la Suisse

5. La reprise dynamique du droit européen par la Suisse élimine-t-elle la démocratie directe et le fédéralisme?
6. En cas de litige entre la Suisse et l’UE, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devrait également jouer un rôle. La Suisse doit-elle maintenant accepter des juges étrangers?
7. Avec les Bilatérales III, la Suisse abandonne-t-elle sa souveraineté?

C. Processus d’adoption des Bilatérales III

8. Quelle est la particularité des négociations sur les Bilatérales III?
9. Combien de temps dureront les négociations avec l’UE?
10. Que se passera-t-il en Suisse une fois que les négociations avec l’UE seront terminées?
11. Comment voter un jour sur les Bilatérales III?

D. Importance économique des Bilatérales III et position de l’Association La Suisse en Europe

12. Quelle est l’importance des Bilatérales III pour la Suisse?
13. Quelle est la position de l’Association La Suisse en Europe sur les Bilatérales III?

A. Déroulement et contenu des négociations

1. Depuis quand la Suisse et l’UE négocient-elles les Bilatérales III?

Le 18 mars 2024, la présidente de la Confédération Viola Amherd et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont ouvert à Bruxelles les négociations entre la Suisse et l’UE sur un nouveau paquet d’accords bilatéraux, le troisième. Ce paquet est communément appelé « Bilatérales III », car il fait suite aux Bilatérales I (1999) et II (2004), renforce et actualise cinq accords des Bilatérales I par des dispositions institutionnelles et prévoit de nouveaux accords bilatéraux. Auparavant, le Conseil fédéral avait adopté le 8 mars le mandat définitif de la Suisse pour ces négociations, après des consultations approfondies des cantons, du Parlement, des associations économiques et des partenaires sociaux. Le 12 mars, les 27 États membres de l’UE ont approuvé les directives de négociation présentées par la Commission.

Responsable de la conduite de la politique étrangère, le Conseil fédéral négocie pour la Suisse. Du côté de l’UE, les négociations sont menées par la Commission, l’organe exécutif et administratif de l’Union européenne, en charge des accords internationaux. Le négociateur en chef de la Suisse est Patric Franzen, secrétaire d’État adjoint et chef de la division Europe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Son homologue de l’UE est Richard Szostak, chef de la division «Partenaires d’Europe occidentale» au Secrétariat général de la Commission.

2. Quel est l’objectif des négociations avec l’UE?

Avec ces négociations, le Conseil fédéral veut stabiliser et développer la voie bilatérale empruntée avec succès de 1999 à 2004, mais qui a stagné et connu des soubresauts depuis lors. Concrètement, il s’agit de garantir et de développer dans certains secteurs l’accès sans obstacles des entreprises suisses au marché intérieur de l’UE et de créer un cadre institutionnel approprié à cet effet. Avec environ 450 millions de consommateurs, le marché intérieur est le plus grand marché transfrontalier du monde avec les mêmes règles s’appliquant partout. Grâce aux Bilatérales III, des entreprises industrielles suisses peuvent bénéficier d’un accès non-discriminatoire au vaste marché intérieur de l’UE.

Le Conseil fédéral veut en outre obtenir la réintégration de la Suisse dans les programmes de formation et de recherche de l’UE ainsi qu’une participation à d’autres programmes. Avec un budget total de 95,5 milliards d’euros pour les années 2021-2027, le programme de recherche de l’UE «Horizon Europe» est le plus important du genre dans le monde. L’UE avait suspendu la participation de la Suisse à ce programme après la rupture unilatérale des négociations sur un accord-cadre institutionnel par le Conseil fédéral en 2021.

Pour la Suisse, pays pauvre en matières premières, la participation aux programmes de formation et de recherche de l’UE est extrêmement importante; elle contribue au progrès et à la prospérité.

3. Quel est le contenu du paquet d’accords bilatéraux prévu?

Le Conseil fédéral et la Commission européenne veulent ficeler un paquet d’accords comprenant les éléments suivants :

  • Nouveaux accords bilatéraux dans les domaines de l’électricité, de la santé et de la sécurité alimentaire.
  • Reprise dynamique du droit de l’UE, procédure de règlement des différends et mise à jour des accords existants dans le domaine de la libre circulation des personnes (protection des salaires et droits sociaux), des transports terrestres et aériens, des obstacles techniques au commerce et de l’agriculture.
  • Participation de la Suisse aux programmes de l’UE en matière de formation et de recherche.
  • Règles relatives aux aides d’État dans les domaines des transports et de l’électricité.
  • Versements réguliers de la Suisse au titre de la cohésion pour réduire les inégalités sociales et économiques au sein de l’UE.
  • Mise en place d’un dialogue politique régulier de haut niveau.

4. Qu’est-ce qui est déjà réglé, qu’est-ce qui doit encore être négocié?

Lors des nombreux entretiens exploratoires qui ont précédé les négociations proprement dites depuis mars 2022, le Conseil fédéral et la Commission européenne ont expliqué en détail leurs préoccupations respectives dans les domaines des négociations et ont défini des zones dites d’atterrissage à l’intérieur desquelles il est prévu de résoudre les questions en suspens.  Les résultats des entretiens exploratoires ont été consignés par écrit dans un document appelé «accord commun» (Il est disponible ici). Lors des négociations, le Conseil fédéral et la Commission européenne devront concrétiser les solutions esquissées dans ce document. Les principales sont les suivantes :

  • Electricité: en concluant un accord sur l’électricité, la Suisse participera au marché intérieur de l’électricité de l’UE. Ceci afin de promouvoir le commerce d’électricité entre la Suisse et l’UE et de garantir la sécurité de l’approvisionnement et la stabilité du réseau en Suisse.

Le Conseil fédéral est d’accord avec l’ouverture du marché suisse de l’électricité demandée par la Commission européenne. Les consommateurs finaux, quelle que soit leur nature, doivent pouvoir choisir librement leur fournisseur d’électricité. Dans ce contexte, le Conseil fédéral veut avoir la garantie que les petits consommateurs finaux, tels que les ménages et les PME en dessous d’un certain seuil de consommation, puissent rester dans l’approvisionnement de base réglementé avec des prix réglementés ou y revenir (modèle dit du choix). En outre, le Conseil fédéral veut pouvoir maintenir les principales aides d’Etat existantes, notamment dans le domaine de la production d’électricité renouvelable. Dans ce contexte, l’UE a reconnu que les particularités de la structure de production d’électricité devraient être prises en compte, par exemple le rôle des centrales hydrauliques et de réserve en Suisse.

  • Sécurité alimentaire: cet accord entraînera une extension du champ d’application de l’accord sur le commerce des produits agricoles des Bilatérales I à l’ensemble de la chaîne alimentaire. Cette extension vise à renforcer la protection des consommateurs et à améliorer l’accès au marché par une réduction globale des obstacles non tarifaires au commerce. Une harmonisation des politiques agricoles de la Suisse et de l’UE, et donc une révision de la protection agricole dans l’accord de libre-échange de 1972, doivent rester exclues selon une compréhension commune. Des exceptions permettront d’éviter une baisse des normes en vigueur en Suisse, notamment en ce qui concerne la protection des animaux et les nouvelles technologies dans la production alimentaire.
  • Santé: le nouvel accord bilatéral de coopération prévoit la participation de la Suisse aux mécanismes et réseaux pertinents de l’UE dans le domaine des questions de santé liées à la sécurité, comme cela s’est avéré important dans le cadre de Covid-19. Le Conseil fédéral souhaite notamment participer au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
  • Programmes de formation et de recherche: Le Conseil fédéral et la Commission européenne sont d’accord pour que la Suisse participe systématiquement aux programmes de l’UE à l’avenir, notamment dans les domaines de la recherche et de l’innovation, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la jeunesse, du sport et de la culture. Les programmes européens Horizon Europe 2021-2027 (recherche) et Erasmus+ 2021-2027 (éducation, échanges d’étudiants) sont prioritaires.

Suite à l’ouverture des négociations, la participation de la Suisse est redevenue possible sur une base transitoire pour les projets financés par Conseil européen de la recherche vu sa grande importance. La Suisse obtiendra une extension de ce régime pour 2025 seulement si l’accord sur sa participation aux programmes de l’UE est paraphé.

L’objectif de la Suisse d’une participation anticipée aux programmes de l’UE nécessitera une progression satisfaisante des négociations pour les questions institutionnelles. De plus, les négociations sur la participation aux programmes de l’UE ne pourront pas être conclues avant celles intégrant les dispositions institutionnelles dans les accords d’accès au marché intérieur et celle qui couvre la cohésion.

  • Reprise du droit: le Conseil fédéral est d’accord avec la reprise dynamique du droit de l’UE dans le droit suisse par le biais des accords actuels et futurs sur le marché intérieur. Il veut toutefois pouvoir participer au développement du droit de l’UE concernant la Suisse (ce que l’on appelle le decision-shaping). Si la Suisse (c’est-à-dire le Conseil fédéral, le Parlement ou le peuple) décidait une fois de ne pas reprendre le droit de l’UE, celle-ci pourrait prendre des mesures de compensation. Le Conseil fédéral souhaite que ces mesures n’entrent en vigueur qu’après qu’un tribunal arbitral se soit prononcé sur leur proportionnalité
  • Règlement des différends: en cas de litige, selon une conception commune, la Suisse et l’UE recherchent d’abord une solution politique au sein d’un comité mixte. Celui-ci est composé de fonctionnaires des deux parties contractantes. Si aucun accord n’est trouvé, chaque partie peut soumettre le litige à un tribunal arbitral. Celui-ci est composé de manière paritaire avec généralement trois personnes indépendantes, libres de tout conflit d’intérêt et disposant des compétences techniques nécessaires. Si le tribunal arbitral est confronté à une question ouverte et encore non résolue concernant l’application ou l’interprétation du droit européen, il doit faire appel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci procède à une évaluation contraignante des faits en question. Le tribunal arbitral rend sa décision finale sur cette base.

La Suisse a introduit un élément supplémentaire dans son mandat de négociation. Elle demande que la proportionnalité des mesures compensatoires de l’UE soit évaluée par le tribunal arbitral avant leur entrée en vigueur dans le cadre de la procédure de règlement des différends. Ce point ne figure ni dans l’entente commune ni dans les directives de négociation de l’UE.

  • Libre circulation des personnes/immigration: le Conseil fédéral est d’accord avec l’alignement du droit suisse sur le droit de l’UE en vigueur dans ce domaine. Il poursuit toutefois l’objectif de faire dépendre l’immigration d’une activité professionnelle en Suisse, afin de limiter les conséquences pour le système social suisse et de lutter contre les abus. L’UE est prête à accorder plusieurs exceptions à la Suisse à cet égard.
  • Libre circulation des personnes/protection des salaires: le Conseil fédéral est prêt à reprendre dans le droit suisse le droit de l’UE en vigueur dans ce domaine. Il souhaite toutefois pouvoir maintenir la protection des salaires en Suisse au niveau actuel, afin de ne pas exposer les entreprises suisses à une concurrence illimitée de la part de travailleurs détachés de l’UE. L’UE est prête à accorder à la Suisse une clause de non-régression. Celle-ci doit empêcher que la Suisse doive reprendre de nouvelles règles de l’UE ou se conformer à des jugements de la CJUE qui pourraient faire baisser le niveau actuel de protection des salaires.

Le principe «à travail égal, salaire égal au même endroit» doit s’appliquer aux travailleurs de l’UE détachés en Suisse. En ce qui concerne la réglementation des frais pour les personnes détachées de l’UE, le droit européen s’écarte de ce principe. Les travailleurs détachés sont rétribués pour leurs frais sur la base des taux de leurs pays d’origine. Les syndicats suisses sont fermenent opposés. Bien qu’il ne s’agisse que du 0,3% des heures de travail ouvrées en Suisse annuellement, le Conseil fédéral s’efforce de trouver une solution avec la Commission européenne qui tienne compte du niveau des prix en Suisse.

L’UE est par ailleurs disposée à accorder à la Suisse des exceptions concernant le délai d’annonce préalable pour les travaux effectués par du personnel détaché et les cautions qui doivent être déposées pour de tels travaux.

  • Transports terrestres: le Conseil fédéral est d’accord avec l’ouverture du trafic ferroviaire international de voyageurs. La qualité des transports publics en Suisse ne doit cependant pas se dégrader. Le Conseil fédéral veut que l’intégration tarifaire et l’horaire cadencé demeurent garantis. Il veut garder la compétence pour l’attribution des sillons en Suisse et maintenir le modèle de coopération dans le transport ferroviaire international de voyageurs. L’UE est d’accord avec cela.
  • Paiements de cohésion: Le Conseil fédéral donne son feu vert à la création d’un mécanisme juridiquement contraignant pour une contribution régulière de la Suisse à la cohésion, afin de réduire les inégalités sociales et économiques au sein de l’UE. Le montant et la fréquence de cette contribution doivent encore être déterminés dans les négociations. La Suisse a déjà versé une contribution de cohésion à l’UE. Celle-ci s’élevait dernièrement à 1,3 milliard de francs, répartis sur dix ans – soit 130 millions de francs par an. On peut s’attendre à ce que la nouvelle contribution à la cohésion soit nettement plus élevée.

B. Principales conséquences politiques pour la Suisse

5. La reprise dynamique du droit européen par la Suisse élimine-t-elle la démocratie directe et le fédéralisme?

Non. Contrairement à ce qu’affirment l’UDC et d’autres milieux nationaux-conservateurs, les droits constitutionnels du peuple et les compétences des cantons seront préservés après l’entrée en vigueur des Bilatérales III. Une reprise dynamique du droit ne signifie pas une reprise automatique. Ceci signifie que le droit de l’UE est transposé en continu dans le droit suisse, au lieu de l’être seulement périodiquement, comme cela est généralement prévu dans les accords statiques des Bilatérales I et II. Dans ce contexte, les organes prévus par la Constitution, à savoir le Conseil fédéral, le Parlement et le peuple, peuvent continuer à décider s’ils veulent ou non reprendre le droit de l’UE. Des référendums contre des décisions du Parlement restent possibles; le peuple peut donc avoir le dernier mot s’il le souhaite. Les initiatives populaires restent également possibles.

Toutefois, si le peuple se prononce contre la reprise d’un acte juridique de l’UE lors d’une votation référendaire ou si le peuple accepte une initiative qui contrevient au droit européen, l’Union européenne peut prendre des mesures de compensation à l’égard de la Suisse. L’UE veut ainsi éviter que la Suisse ne s’octroie un traitement de faveur à la première occasion. Il faut reconnaître que cela implique une certaine obligation de se comporter de manière conforme à l’UE lors des votations référendaires et des initiatives populaires. Mais ce n’est pas nouveau; c’est déjà le cas lors des votations populaires sur des lois et des initiatives en rapport direct avec l’UE dans le cadre des Bilatérales I et II. Rappelons par exemple l’initiative contre l’immigration de masse (2014) ainsi que les votations sur l’adaptation de la loi suisse sur les armes à la directive européenne sur les armes (2019) et sur la contribution suisse à l’agence européenne de protection des frontières Frontex (2022).

Le fédéralisme suisse n’est pas non plus mis à mal par les Bilatérales III. En vertu de l’article 55 de la Constitution fédérale, les cantons ont un droit de participation à la politique étrangère de la Confédération, donc aussi à sa politique européenne. En vertu de cet article, la Confédération informe les cantons en temps utile et de manière détaillée sur les questions de politique extérieure et sollicite leur avis. Si la politique étrangère concerne des compétences des cantons, la Confédération doit associer les cantons de manière appropriée aux négociations correspondantes. Ces dispositions constitutionnelles s’appliquent déjà lors de la négociation des Bilatérales III et continueront de s’appliquer après leur entrée en vigueur.  Dans le présent paquet des Bilatérales III, seule la surveillance fédérale prévue sur les subventions cantonales concerne les relations entre la Confédération et les cantons. Dans les autres dossiers, la répartition actuelle des tâches entre la Confédération et les cantons n’est pas touchée.

6. En cas de litige entre la Suisse et l’UE, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devrait également jouer un rôle. La Suisse doit-elle maintenant accepter des juges étrangers?

 Lors des entretiens exploratoires, la Suisse et l’UE se sont mises d’accord sur une procédure de règlement des litiges en deux étapes (pour plus de détails, voir ci-dessus). De telles procédures d’arbitrage sont courantes dans le droit international économique. La seule particularité est que la Cour de justice européenne doit également jouer un rôle. Celle-ci doit être consultée lorsque le tribunal arbitral est confronté à une question ouverte et non résolue concernant l’application ou l’interprétation du droit européen. La CJCE revendique en effet le dernier mot sur la manière dont le droit européen est interprété dans l’Union européenne. Cela inclut également le droit de l’UE qui, par le biais d’un traité, est étendu à un État tiers – en l’occurrence à la Suisse. Qu’une directive ou un règlement soit interprété directement ou dans le cadre d’un traité ne joue aucun rôle. Il faut trouver une interprétation qui s’applique en quelque sorte à tous les États membres de l’UE, de l’Espace économique européen (EEE) et à la Suisse.

On objecte qu’il n’y a pas de juges suisses à la CJUE. De ce point de vue, les juges du Luxembourg sont effectivement des juges étrangers. Toutefois, même dans une procédure d’un État membre devant la CJUE, un juge de sa nationalité n’y participe pas nécessairement. En outre, les juges de la CJUE ne peuvent juger du droit en Suisse que dans la mesure où celui-ci reprend le droit de l’UE. Les dispositions particulières des Bilatérales III (exceptions au droit de l’UE) ainsi que le droit suisse n’entrent pas dans le cadre de cette procédure devant la CJUE. Les cas correspondants seront jugés de manière définitive par le tribunal arbitral paritaire. Par ailleurs, les Bilatérales III ne modifient pas les compétences des tribunaux suisses et du Tribunal fédéral en matière d’interprétation du droit européen et du droit international public.

Etant le tribunal de la partie adverse, la CJUE rendra-t-elle un jugement partial en cas de litige entre la Suisse et l’UE? En réponse à cette question, Matthias Oesch, spécialiste du droit européen enseignant à l’université de Zurich, a déclaré dans une interview au magazine «Nebelspalter»: «La CJUE a une longue expérience dans l’interprétation des accords d’association et de libre-échange avec des pays tiers. Ce faisant, elle statue en principe sans tenir compte de l’origine des parties. Cela se vérifie également dans l’interprétation des accords bilatéraux avec la Suisse. La CJUE a prouvé qu’elle était en mesure de procéder ici aussi de manière objective, impartiale et méthodique». Il est également essentiel de noter que l’arrêt de la CJUE n’est pas seulement déterminant pour la Suisse, mais pour tous les États membres de l’UE et de l’EEE. L’interprétation ne s’adresse pas à la Suisse seule.

7. Avec les Bilatérales III, la Suisse abandonne-t-elle sa souveraineté?

Non, avec les Bilatérales III, la Suisse reste autonome et indépendante. Elle ne devient pas une colonie de l’UE, comme le prétendent l’UDC et les milieux nationaux-conservateurs qui lui sont proches, et elle ne se fond pas non plus dans l’UE. Elle gagne même en souveraineté par rapport aux Bilatérales I et II, même si, avec les Bilatérales III, elle ne peut pas participer aux prises de décisions concernant l’adoption du droit européen qu’elle doit reprendre. Ce manque doit toutefois être partiellement compensé par un droit de présenter ses vues lors de la préparation du droit européen à reprendre. La Suisse peut participer à ce que l’on appelle le «decision shaping»; en revanche, elle ne sera toujours pas assise à la table du «decision taking».

La Suisse a déjà obtenu ce droit de présenter ses vues dans le cadre des Bilatérales I pour l’accord sur le transport aérien et dans le cadre des Bilatérales II pour les accords de Dublin et de Schengen. Ceci s’est avéré tout à fait utile. Par exemple, lors de la révision de la directive européenne sur les armes, la Suisse a pu obtenir une dérogation permettant aux militaires suisses de conserver leur fusil d’assaut chez eux, même après avoir quitté le service militaire. Cette exception a contribué à faire passer avec succès en votation populaire l’adaptation ultérieure de la loi suisse sur les armes en 2019.

La Suisse a également la possibilité d’opt-out pour la reprise du droit de l’UE. Ce n’est ni le cas des États membres de l’UE, ni de l’EEE. La Suisse peut décider souverainement de ne pas reprendre une certaine réglementation de l’UE. Elle doit cependant en accepter les conséquences avec la prise de mesures de compensation proportionnelles par l’UE.

C. Processus de négociation et d’adoption des Bilatérales III

8. Quelle est la particularité des négociations sur les Bilatérales III?

Ce qui est nouveau dans ces négociations, c’est qu’elles sont menées pour ainsi dire à cartes ouvertes et de manière transparente. Le Conseil fédéral et la Commission européenne ont tous deux publié leurs mandats de négociation respectifs sur Internet. (Le mandat du Conseil fédéral est disponible ici; celui de la Commission européenne ici) La population des deux parties peut ainsi voir en détail ce qu’elles veulent obtenir lors des négociations. Ce pas a été effectué afin d’instaurer la confiance dans les négociations et de mettre un frein aux fausses informations, surtout de la part des opposants aux négociations. A l’inverse, la transparence conduit également à ce que, sur le plan de la politique intérieure, de nouvelles exigences soient mises sur la table par la politique, l’économie et le Parlement. Le Conseil fédéral en a tenu compte dans la mesure du possible dans son mandat de négociation. La transparence permet en outre aux opposants aux négociations de formuler plus facilement des objections et des critiques, qui sont largement reprises par les médias. Cela donne l’impression que les Bilatérales III souffrent d’un vent de raideur dans le grand public alors que les sondages montrent un bon soutien.

Pour le Conseil fédéral, la publication d’un mandat de négociation et d’autres documents de négociation est une nouveauté. C’est une première dans l’histoire de la diplomatie suisse. Jusqu’à présent, les documents de négociation étaient toujours secrets et uniquement accessibles aux commissions parlementaires. En revanche, la Commission européenne a déjà rendu publics à plusieurs reprises des documents de négociation – par exemple lors des négociations sur le Brexit avec la Grande-Bretagne.

9. Combien de temps dureront les négociations avec l’UE?

La présidente de la Commission européenne, Mme U. von der Leyen, a déclaré lors du lancement des négociations qu’en raison des entretiens exploratoires précédents, il existait désormais une compréhension commune des négociations et une base de confiance permettant de réaliser rapidement de nouveaux progrès. L’objectif de l’UE est de conclure les négociations encore avant la fin de l’année. La présidente de la Confédération, Mme V. Amherd, s’est montrée plus réservée quant au calendrier des négociations. «Si cela pouvait encore se faire d’ici fin 2024, ce serait bien sûr fantastique», a-t-elle déclaré. Cela aurait l’avantage de pouvoir encore conclure avec la Commission actuellement en place. Mais pour la Suisse, «la qualité prime sur la vitesse».

10. Que se passera-t-il en Suisse une fois que les négociations avec l’UE seront terminées?

En supposant que les négociations sur les Bilatérales III puissent être conclues d’ici fin 2024, comme le souhaite l’UE, il s’ensuivra un long processus de politique intérieure en Suisse. Le Conseil fédéral doit d’abord approuver le résultat des négociations. Cela pourrait également avoir lieu fin 2024. Ensuite, il ficellera un paquet comprenant les accords modifiés et les nouveaux accords avec l’UE ainsi que des réformes législatives nationales. Le Conseil fédéral enverra tout d’abord le tout en consultation, puis le transmettra au Parlement – si l’écho n’est pas vraiment trop négatif et devrait remettre en question une approbation parlementaire. Si cela se passe rapidement, le Parlement pourrait débattre et adopter le paquet en 2025. Une votation populaire pourrait alors avoir lieu en 2026. C’est pour ainsi dire le cas idéal.

Mais tout pourrait aussi prendre plus de temps. L’année 2027, au cours de laquelle le Parlement suisse sera réélu, interviendrait alors. Le PLR, le centre et le PS pourraient alors être tentés d’écarter des élections si le paquet bilatéral devait être sérieusement contesté au sein de leur parti et par le peuple. Dans un tel cas, le débat parlementaire n’aurait lieu qu’en 2028. Et le référendum ne pourrait alors avoir lieu qu’en 2029. Dans le pire des cas, il pourrait donc s’écouler encore un certain temps avant que les Bilatérales III n’entrent en vigueur.

11. Comment voter un jour sur les Bilatérales III?

En principe, un référendum facultatif – c’est-à-dire une votation où seule la majorité du peuple décide – est suffisant. Selon l’article 140 de la Constitution fédérale, un référendum obligatoire – c’est-à-dire une votation nécessitant une double majorité du peuple et des cantons – ne serait nécessaire que si les Bilatérales III étaient liées à une modification de la Constitution ou si elles conduisaient à une adhésion à une organisation supranationale, comme l’UE. Or, ce n’est pas le cas avec les Bilatérales III.

Malgré cela, l’UDC ainsi que d’autres cercles nationaux-conservateurs et libéraux de droite exigent du Conseil fédéral et du Parlement que les Bilatérales III soient soumises au référendum obligatoire. Leurs arguments reposent sur la grande portée politique et économique de ce paquet d’accords pour notre pays et sur la protection des cantons dans une Suisse organisée de manière fédéraliste. Ce faisant, ils oublient que les accords bilatéraux I et II ainsi que les accords de l’OMC et leur règlement contraignant des différends n’ont été également soumis qu’au référendum facultatif, bien que ces accords avaient également eu une grande portée pour la Suisse. On se souvient par exemple de l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE dans le cadre des Bilatérales I ou des accords sur Dublin (coopération en matière d’asile avec l’UE) et Schengen (voyages sans contrôles aux frontières en Europe) dans le cadre des Bilatérales II. De plus, les partisans d’un référendum obligatoire ne se préoccupent qu’en apparence de la protection des cantons et du fédéralisme. Ils souhaitent avant tout élever le plus possible les obstacles aux Bilatérales III qu’ils n’aiment pas, voire qu’ils ne souhaitent pas, lors d’une votation.

D. Importance des Bilatérales III et position de l’Association La Suisse en Europe

12. Quelle est l’importance des Bilatérales III pour la Suisse?

La Suisse n’est pas membre de l’UE. D’un point de vue géographique, elle est une île au milieu de l’Union européenne. Pourtant, elle est étroitement liée à celle-ci. Tout d’abord en termes de valeurs: La Suisse et l’UE s’engagent toutes deux pour les droits de l’homme, l’État de droit, la démocratie et l’économie de marché. Culturellement ensuite: la Suisse est entourée d’États membres de l’UE avec lesquels elle partage la langue et la religion.

La Suisse est aussi fortement liée à l’UE sur le plan économique. Celle-ci est de loin le plus grand partenaire commercial de notre pays. Environ 50% des exportations de marchandises suisses sont destinées à l’UE et 70% des importations en proviennent. Le volume total du commerce de marchandises entre la Suisse et l’UE (exportations plus importations) s’élève à près de 300 milliards de francs. Près de 40 pour cent des exportations suisses de services ont pour destination l’UE, et environ 45 pour cent des importations de services en sont originaires. Le volume total du commerce de services entre la Suisse et l’UE (exportations plus importations) s’élève à près de 125 milliards de francs (tous les chiffres de 2022). Deux tiers du stock d’investissements directs étrangers en Suisse – environ 700 milliards de francs – proviennent de l’UE. 40% du stock d’investissements directs suisses à l’étranger – 565 milliards de francs au total – se trouvent dans l’UE (données de 2021).

Enfin, il existe également des liens humains étroits. Plus de 1,4 million de citoyens de l’UE vivent, travaillent ou étudient en Suisse. Cela correspond à environ 16 pour cent de la population résidente de notre pays. Inversement, plus de 450’000 Suisses résident dans l’UE. En outre, quelque 375’000 frontaliers des pays voisins de l’UE se rendent chaque jour en Suisse. Cela correspond à près de 7 pour cent de la population active du pays (données de 2022).

Ces liens multiples et très étroits se traduisent par le fait que la Suisse a conclu à ce jour plus de 120 accords bilatéraux avec l’UE. Les plus importants sont l’accord de libre-échange (1972), l’accord sur les assurances (1989) ainsi que les paquets d’accords «Bilatérales I» (1999) et «Bilatérales II» (2004). Et maintenant, il faut ajouter un autre paquet important, les Bilatérales III.

Ces accords bilatéraux constituent jusqu’à nouvel ordre le seul lien contractuel de la Suisse avec l’UE, la principale organisation politique et économique européenne. Ces accords apportent à notre pays stabilité, croissance et prospérité. Il est donc important que la Suisse puisse garantir et développer cette relation avec l’UE par le biais des Bilatérales III. Des alternatives telles qu’un pas en arrière vers un accord de libre-échange – éventuellement modernisé – avec l’UE sont soit politiquement et économiquement inintéressantes, soit, comme une adhésion à l’UE, irréalisables dans un avenir prévisible.

13. Quelle est la position de l’Association La Suisse en Europe sur les Bilatérales III?

L’Association La Suisse en Europe soutient pleinement les négociations avec l’UE sur un nouveau troisième paquet d’accords bilatéraux. Elle s’est déjà engagée en faveur de l’accord-cadre institutionnel rejeté en 2021 ainsi que pour un processus de négociation ouvert. Elle estime que les bases de négociation solides, élaborées lors de nombreux entretiens exploratoires, permettent une alliance équitable entre la Suisse et l’UE. L’Association La Suisse en Europe procédera à une évaluation définitive des Bilatérales III dès que le résultat final des négociations sera connu.

Texte écrit par Martin Gollmer et édité par Philippe Nell et Thomas Cottier